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De la chirurgie orthopédique à l’ascension du Makalu, Himalaya
le 30/10/2024
Chirurgien orthopédique à la Clinique Maussins-Nollet (Ramsay Santé) à Paris, le Dr François-Paul Ehkirch est aussi un alpiniste passionné. Après son ascension en Himalaya, il nous raconte comment son expérience en montagne influence sa pratique médicale. Portrait.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours professionnel ?
Je suis le Dr François-Paul Ehkirch, chirurgien orthopédiste spécialiste du genou avec une expertise en traumatologie sportive, arthroscopie et prothèses. Je suis également président de l'association de formation en arthroscopie « Centre Arthro Maussins ». J’exerce au sein de la Clinique Maussins-Nollet depuis 2005.
Passionné d’alpinisme, j’ai réussi en mai dernier l’ascension du Makalu dans l’Himalaya, le cinquième plus haut sommet du monde (8.483 mètres). Cette expédition de deux mois a exigé une acclimatation rigoureuse et une préparation physique intense.
Comment avez-vous développé cette passion pour l'alpinisme ? Quelle a été votre première grande expédition en montagne ?
Mon initiation à la montagne a commencé dès l'âge de 11 ans, grâce à mes parents. Lors d’une promenade, j'ai eu un véritable "coup de foudre" pour cette discipline en découvrant un grimpeur. Ce fut une révélation et la montagne est devenue la grande passion de ma vie.
À 14 ans, j’ai rejoint le Club Alpin Français, ce qui m’a permis de passer tous mes étés à faire de l’alpinisme dans des décors incroyables. Les week-ends, je m’entraînais à grimper soit à Fontainebleau, soit dans les falaises de Bourgogne.
Ma première grande expédition a été l’ascension du Huascarán, le plus haut sommet du Pérou (6.768 mètres), en 1987, à l'âge de 19 ans. Cette expédition d’un mois dans les Andes a profondément marqué mon expérience en haute altitude, et m’a aidé à mieux appréhender mes études de médecine puis mon métier de chirurgien.
Père de trois garçons, je les ai initiés très tôt à l’alpinisme, leur transmettant avec passion les valeurs essentielles de cette discipline. Nous grimpons régulièrement ensemble, de manière autonome, sans guide. Ces expériences familiales en montagne renforcent nos liens à chaque fois. La montagne est vitale pour mon équilibre personnel, mais aussi pour mon équilibre professionnel.
En avril dernier, vous êtes parti grimper le Makalu en Himalaya. Pourquoi vous êtes-vous lancé dans une telle aventure ?
Il y a deux ans, j’ai découvert une annonce dans un journal spécialisé, proposant une grande expédition pour gravir le Makalu en Himalaya. Cette annonce m’a immédiatement intéressé. J’ai alors contacté l’organisme « Unlimited Expedition », l’agence lyonnaise organisatrice de cette ascension de haut niveau. Elle m’a conseillé de commencer par l'ascension du Pic Lénine au Kirghizistan (7.134 mètres) afin de me familiariser avec les défis spécifiques avant de tenter le Makalu, qui est plus élevé et plus complexe.
En 2022, j’ai donc entrepris cette première expédition d’un mois, avec une équipe dédiée. Fort de cette expérience, je me suis lancé dans l’aventure népalaise le 8 avril 2024. J’ai eu la chance d’en revenir victorieux le 12 mai 2024, soit 69 ans jour pour jour après la dernière ascension du Malaku par des Français. C’était un rêve éveillé.
Pouvez-vous nous raconter votre incroyable ascension du Makalu ?
Au printemps dernier, je suis parti avec deux autres français : Serge Bazin, un guide expérimenté avec 35 ans d'expérience en Himalaya, et Johnny Saliba, un alpiniste renommé que j'avais rencontré lors de l’expédition au Pic Lénine. Malheureusement, Johnny est décédé lors de l’ascension du Makalu. L’Himalaya reste un milieu dangereux et hostile, même pour les alpinistes les plus expérimentés. C’est avec une profonde émotion que je lui rends hommage aujourd’hui.
L'aventure vers le sommet du Makalu commence par un trek de huit jours, nous faisant passer progressivement de 700 mètres à 4 870 mètres d’altitude. Cette période d’acclimatation est cruciale : elle permet à notre corps de produire des globules rouges supplémentaires, indispensables pour compenser la raréfaction de l'oxygène à mesure que nous prenons de l’altitude.
Une fois arrivés au camp de base, surnommé « le camp de base des Français », nous sommes à 4 870 mètres d’altitude, au pied de l'immense montagne du Makalu. À cette hauteur, on se sent déjà comme si l'on avait conquis le Mont Blanc, mais l'ascension ne fait que commencer. Le vrai défi débute ici, à 5 670 mètres, niveau du camp de base avancé. Nous ne redescendons plus en dessous de cette altitude et commençons la préparation pour l'ascension finale vers le sommet. Ce préambule nécessite l’installation de trois camps intermédiaires sur la montagne : le camp 1 à 6 300 mètres, le camp 2 à 6 700 mètres et enfin le camp 3, notre dernier arrêt avant le sommet, à 7 500 mètres.
Après trois semaines d'acclimatation, nous attendons une fenêtre météorologique favorable pour lancer l'ascension finale. De camp en camp, l'effort devient plus intense et la montée, avec des cordes fixes et des poignées autobloquantes, nous pousse dans nos derniers retranchements. Ce n'est pas tant la force physique qui nous porte, mais une force mentale imperturbable : je dirais que la réussite de l'ascension est le fait de 20 % de force physique et de 80 % de force psychologique.
L'ascension finale débute à 22 heures depuis le camp 3. C’est un effort de 20 heures qui nous met à l'épreuve de manière extrême. L'engagement est tellement intense qu'il est difficile de trouver du plaisir immédiat dans l'acte de monter. Tout est extrêmement physique, mais au final, c'est l'endurance mentale qui compte le plus. Chaque pas est un pas de plus vers le sommet, et chaque respiration est un triomphe sur soi-même dans cet environnement hostile.
Comment vous êtes-vous préparé à cette difficile ascension ?
Avant de rejoindre l’équipe, j’ai d’abord effectué un bilan complet de mon état de santé. Ensuite, j’ai consacré plusieurs mois à une préparation physique intensive, avec beaucoup de musculation et de course à pied pour renforcer mon cardio. Cela n’a pas toujours été évident avec mon métier de chirurgien, très prenant. Mais cette préparation a été cruciale pour pouvoir vivre l’expérience.
Vos compétences et l'expérience acquises en montagne influencent-elles votre pratique chirurgicale ?
La montagne m'a appris à faire face aux situations critiques et à prendre des décisions rapides et efficaces, ce qui est essentiel en chirurgie. Dans les deux cas, il s’agit de veiller à la vie de l'autre. De plus, l'alpinisme renforce ma capacité à travailler en autonomie, ce qui est également important dans mon métier de chirurgien.
Il y a aussi ce goût de l’effort, de la difficulté et de l’engagement, propre aux deux pratiques. Si je grimpe une paroi ou que j’opère de manière automatique, je ne suis pas satisfait, j’ai besoin de me dépasser. Paradoxalement, je mets un point d’honneur à ce que la chirurgie, comme l’alpinisme, reste un plaisir et non une compétition ou une simple recherche de défi physique.
De quoi rêvez-vous après cette grande expédition ?
Je rêve de découvrir des grands massifs comme la Patagonie en Argentine, et de revisiter des classiques dans les Alpes, en choisissant des voies qui ont une signification particulière pour moi, soit parce qu’elles ont été grimpées par des alpinistes que j’admire, soit simplement pour leur beauté ou leur complexité. Tout comme on peut apprécier un tableau pour sa beauté, j’aime une paroi pour son esthétisme, son environnement unique et la sérénité qu’elle m’apporte.
Je souhaite également continuer à partager cette passion avec mes trois enfants aussi longtemps que possible.